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UNE ALLIANCE DE RAISON


Volvo reste un constructeur à part! Les Suédois sont parmi les rares spécialistes
de l'automobile à gagner de l'argent, à aligner des bilans positifs, à connaître le succès avec des voitures qui n'ont pas les mêmes charmes que les autres!

Ne croyez pas que nous consiérions les Volvo comme des mauvaises autos mais elles restent en marge des autres, semblent parfois aller à contrecourant de l'actualité tout en refusant de se plier à certains modes techniques ou plus simplement de style.
La récente 480 ES constitue bien sûr une exception à cette approche. Mais peut-on la considérer comme une Suédoise, elle qui eut sa gestation en Hollande et qui y naquit...
Il y a 18 mois, Volvo profitait du rendezvous de Genève pour dévoiler une nouvelle voiture, un coupé, la 780, inspirée de la gamme 700 et concoctée par le carrossier turinois Bertone. Une fois encore, Volvo semblait donner une leçon au monde avec un modèle sans grande recherche technique, au look agréable sans être spectaculaire.
L'opération n'était pas une simple manouvre de promotion ni le fruit d'un projet sans lendemain.
-"Depuis les débuits de la Crise économique actuelle, nous avons remarqué que le chiffre d'affaire du marché mondial des voitures de standing croissait", expliquent les Suédois.
-"Il se situait à 180 milliards de franc belges en 1960; il passait à 360 milliards en 1985 et il devrait atteindreee le niveau de 600 milliards en 1990."
-"Alors que certains constructeurs ont choisi de viser la plus grande production possible, quitte à ne pas gagner beaucoup, nous avons opté pour une optique plus lucrative, celle des voitures d'exception, vendues en moins grandes quantités, mais avec des marges bénéficiaires de loin plus importantes."
-"Dans cet esprit, nous avons retenu la voie des modèles personnalisés à notre marque, moins sensible à l'évolution du temps et qui ne risquent pas de vieillir trop vite."
Lorsque la 760 GLE sortit, de nombreux devins en marketing lui prédirent de grandes difficultés. Ils eurent tort puisque la 760, ainsi que sa soeur plus récente la 740, se portent aujourd'hui fort bien.
-"Lorsque Volvo nous demanda de concevoir un coupé sur la base de la 760, nous ne savions pas les problèmes qui allaient se poser", sourit Nuccio Bertone.
"Nous avons vu en elle l'espoir d'une belle production capable d'assurer la survie de nos sociétés; nous présagions aussi les plaisirs que peut engendrer la conception d'une nouvelle voiture."
Le styliste turinois et ses dessinateurs bouillonnaient d'idées plus folles les unes que les autres; ils n'en étainent pas à leur première réalisation futuriste... Mais les Suédois ne l'entendaient pas de cette oreille. Ils imposèrent comme base de travail le plancher de la 760, son architecture méchanique et ses suspension; il fixèrent aussi des critères de construction aussi stricts que ceux appliqués sur les chaînes de Göteborg.
-"Bon, d'accord. Mais pour la carrosserie, vous nous laissez la bride sur le cou" suggéra Bertone.
Premier projet: trop sage, trop neutre!
Nuccio Bertone et son équipe croyaient connaître le tempérament suédois; la réponse nordique les étonna donc.
Second projet: trop futuriste, trop osé!
Allons bon, il fallait composer. En un an, pourtant, le visage de la future 780 était défini; en trois ans et demi de gestation totale, la 780 fut mille fois, dix mille, cent mille fois corrigée. D'autant que les Suédois imposaient que leur coupé soit techniquement parfait, fiable robuste, et tout et tout.
Voila sans doute pourquoi la 780, vendue en Italie avec la motorisation Turbo Diesel depuis le début de l'année et qui est aujourd'hui commercialisée dans la plupart de pays européens avec le dernier PRV V6, dénote par certains aspects et rappelle d'anciennes réalisations.


En marge!

Nuccio Bertone et son team sont aujourd'hui heureux. Ils ont connu des temps difficiles, de vaches maigres même, au point de craindre parfois le pire pour leur entrepris. Bertone représente actuellement deux sociétés réputées. La première, "Style Bertone", est un atelier des stylistes. Perdu dans la banlieu turinoise au pied des Alpes, caché derrière un épais filet d'arbres, 14 stylistes crayonnent à mi-temps et se tiennent au courant de l'évolution des techniques modernes le reste du temps. Leurs oeufres sont diverses: carrosseries, éléments d'habillage pour habitacles, mais aussi appareils électro-ménagers, siège (un modèle pour dentiste a été commandé par une importante société suisse), meubles, machines,...
-"C'est bon pour notre efficacité créative que de plonger dans des domains inconnus..."
La "Carrozzeria Bertone" est implantée le long du périphérique de Turin. Mille cinq cents personnes y construisent des voitures: des coupé X 1/9, Fiat Fiorino, Fiat Ritmo Cabriolet (dont la production est en fin de carrière et sera remplacée dans quelques jours par l'Opel Kadett Cabrio) et la Volvo 780.
Les deux branches Bertone sont complètement indépendantes: les uns créent pour n'importe quel client, les autres construisent pour qui le commande, même si le véhicule n'a pas été conçu par les premiers.
-"Il fait vivre"
Dans les ateliers turinois, la Volvo 780 est actuellement en vedette. Elle est construite au rythme de 10 voitures par jour, mais devrait atteindre la production quotidienee de 20 unités dans quelques temps, lorsqu'elle sera exportée vers les USA (début '87). On la trouve là sous toutes les formes, de la coque nue aux versions terminées et testées sur banc à rouleaux.
Dans un univers particulièrement calme et peu bruyant, la Volvo 780 est construite pratiqement à la main. Même l'enduit de bitume anti-corrosion est appliqué encore au pistolet, mais avec une minutie exemplaire. Par cet aspect aussi, le coupé suédois est en marge de l'actualité.
Cà et là, on surprend du regard un geste aujourd'hui tellement rare: une caresse aussi tendre qu'inquiète sur un tableau de bord, un siège, un élément de carrosserie.
Ne cherchez pas au cahier des charges sa signification: elle n'y figure pas! Personne, à la "Carozzeria Bertone" n'a imposé la fierté du travail...


Une belle Suédoise?

La Volvo 780 est véritablement la rencontre de deux civilisations mécaniques tellement contradictoires. La rigeur suédoise s'oppose en permanence à l'enthousiasme méditerranéen. Le sérieux de la mécanique a parfois du mal à s'accomoder à la passion italienne au point que les stylistes aient dû temporiser leur génie créatif pour sauvegarder l'homogénéité de la 780. Le fruit de ce mariage surprend d 'autant que Bertone n'apas toujours conçu des véhicules trés sages.
Vous souvenez-vous des Lamborghini Miura, Espada, Countach, Urraco et autres Alfa Romeo Montréal?
Exposée devant le bureau du style, la Volvo 780 contrastait avec violence avec une dizaine de "sculpture automobiles" du maître turinois, dont on retrouve cependant la patte dans les détails.
Dans l'habitacle où le bois précieux (hêtre et ronce d'orme), spécialement traité par un ébéniste milanais, donne le ton au tableau de bord; où 20 metres carrés de cuir spécialement sélectionné sont nécessaires pour habiller les sièges.
Cela ne suffit pas pour masquer l'origine de la 780! Elle reste suédoise jusqu'au bout du volant, des instrument, de la radio hifi spécialement mise au point pour elle.
Extérieurement, pas question non plus de douter. Le rappel omni-présent de la 760/740 faisait partie des impositions suédoises.
Le résultat ne manque pas de style, un peu rigide, aux traits anguleux au point d'avoir le Cx peu enviable de 0,39. Mais la 780 est une Volvo... qui ne se démodera pas vite.
Rien n'y manque. Elle est conçue pour ne pas être victime, comme d'autres, d'options coûteuses. Elle adopte en série le verrouillage centralisé, les vitres et les rétroviseurs extérieurs à commande électrique, les réglages électriques des sièges avant (sauf pour la pression lombaire qui reste mécanique) avec avancée automatique des sièges pour l'accès à l'arrière avec retour tout aussi automatique à la position programmée, toit transparent à commande électrique, autoradiolecteur de cassette avec booster incorporé, contrôle automatique de vitesse,... Sans oublier le cuir...
Seul manque un ordinateur de bord, mais la clientèle de la 780 a-t-telle vraiment besoin de ce genre de gadget?
La 780 a été taillée pour accueillir 4 adultes dans un confort de haut rang. Son coffre n'a rien à envier à celui des berlines 700,
malgré la présence d'une roue de secours classique (et non pas temporaire).


Mécanique confirmée

moniteur02 Nuccio Bertone entouré de ses stylistes. Leurs œuvres sont diverses: de la carosserie aux appareils électroménagers, en passant par le mobiler...











La mécanique de la 780 n'a pas le caractère italien. Elle est fournie par les Suédois avec interdiction d'y apporter la moindre fantaisie.
Le moteur est au choix le 6 cilindres Turbo Diesel de 2383 cm³ développant 129 ch DIN à 4650 tr/min et le couple maximal de 250 Nm à 2400 tr/min ou le dernier né de la famille PRV, le V6 à manetons décalés de 2846 cm³ alimenté par injection électronic Bosch LH Jetronic (170 ch à 5400 tr/min, 240 Nm à 4500 tr/min). La motorisation Diesel était la premiére en production, réservée au marché italien depuis mars dernier et qui sera importée en France. Le V6 n'est pas commercialisé en Italie, mais le sera partout ailleurs.
La transmission est confiée à la boîte Borg Warner à 4 rapports. Les suspensions sont celles de la 700 corrigée pour l'occasion.
Car la 780 pèse non moins de 150 kg de plus que la berline, excédant qui s'explique par l'équipement adopté en série.
Le freinage est confié à 4 disques commandés par un ABS Bosch à 3 capteurs (le même que dans les Mercedes).
Du sérieux, du solide, du robuste. Mais pas de dynamisme particulier pour ce coupé italo-suédois!



Au pays des contrastes

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Parquée devant l'Hôtel Loews de Monaco, la 780 attire les regards, c'est certain. Elle se remarque, même au milieu d'un embouteillage de limousines de prestige et de coupés sportifs aux teintes chamarées. Elle a du style, du cachet, une personnalité posée qui sied.
Sa découverte commence par l'habitacle. Un curieux s'aventure à lever le capot avant, personne ne le suit. Par contre, on se presse aux portes, on tâte le cuir et le moelleux des sièges.
La 780 ne dèsemplit pas malgré quelques difficultés à s'infiltrer à l'arrière. La place n'y manque pas, c'est vrai, sauf pour les grands gabarits qui ont du mal à caser la tête sans toucher le toit.
Malgré l'absence de l'étoile au bout du capot, la 780 impose son ambiance: feutrée, confortable, paisible.
Contact! Le moteur V6 démarre au premier appel. Le voyage commence sous les meilleures auspices.



Sortie de Monaco vers la frontière italienne; la route grimpe pour rejoindre l'autoroute. La Volvo 780 manque de vivacité. Elle prend lentement de la vitesse et demande beaucoup de patiente pour se relancer au gré du traffic.
Le moteur V6 a visiblement du mal à déplacer les 1550 kg de ce beau coupé. Il se fait entendre plus que de raisons dans pareille voiture de luxe; il n'est pas fort aidé non plus par la boîte Borg Wagner, violente, lorsque l'on force la cadence. Premier lacets, montée sur l'autoroute au tracé combien sinueux. Là, la 780 se montre plus dynamique.
La souplesse des suspensions n'entrave pas son comportement routier. Elle se couche, mais ne s'avoue jamais vaincue. Elle évolue dans un équilibre rassurant. L'allure augmente, facilitée par une circulation fluide. L'aiguille du tachymètre grimpe, celle du sonomètre aussi. Les bords du par-brise, les jointures de porte et même le bord de fuite du toit sont des nids à tourbillons aérodynamiques trop audibles dans l'habitacle. Le moteur intervient dans le bilan avec une sonorité peu plaisante, rugueuse, nettement plus envahissante que dans la Peugeot 505 V6. Une lonque ligne droite, à deux pas de Turin, fréquentée par plusieurs prototype masqués de carton et de plastique: le chrono se met en marche. Vitesse maxi 185 km/h maximum. Volvo annonce de son côté la meilleure performance à 188 km/h. Rien d'enivrant sur ce plan! Pas plus que pour les capacités d'accélération!
-"Nous sommes conscients qu'il manque 20 à 40 ch", nous ont confié les techniciens de Bertone.
"Mais Volvo ne veut pas se lancer dans cette voie qui modifierait les paramètres de fonctionnement du moteur et imposerait de nouvelles recherches pour satisfaire aux lois sur la pollution." La boîte complète ce bilan trop neutre à notre goût. A allure lente, pas de problème; en d'autres conditions, par contre, elle déçoit. Par sa violence lors des changements de rapport, par l'absence de verrouillage entre le second rapport et la position "D".
Par l'absence aussi de verrouillage de convertisseur de couple qui patine perpétuellement en avalant du carburant inutile. A propos, les consommations... Pas superbes non plus, marquées par le poids de la voiture er par le fonctionnement de la mécanique. Déjà que le V6 n'est pas un exemple de sobriété...
Volvo évoque les consommations normalisées de 8,7, 11,1 et 16,0 l/100 km à 90, 120 km/h et en cycle urbain. Notre parcours Monaco-Turin (250 km), mené rapidement sans être inconfortables (même pour le passager arrière qui n'a jamais osé se plaindre!), a vidé le réservoir (60 liter) aux trois-quarts. Inutile d'espérer à bord de la 780 une autonomie supérieure à 375 km. Un peu court pour une aussi bell voiture...
Pourquoi ne pas avoir retenu la motorisation Diesel, plus sobre, mais pas moins confortable, pour la plupart des marchés européens?


Succès assure?

Volvo a pimenté sa gamma d'un modèle à la sauce italienne. La 780 est un très beau coupé, attrayant, élégant et stylé, superbement fini, habillé avec goût. Sa ligne a suffisamment de recul par rapport aux modes pour être assurée d'une longue et brillante carrière. A l'instar de la Peugeot 505, elle sera toujours actuelle dans 10, 15, voire 20 ans.
Il est plus difficile d'apprécier ses performances et l'agrément de sa mécanique, trop peu brillante, mais parfois gloutonne. Son comportement routier, par contre, est efficace, alliant confort et sécurité.
Eh oui, la 780 est un Volvo à part entière.




Philippe De Leener "Le Moniteur de L'automobile No 859 - 30/10/86".

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